Surveillance. Les « écoutes » explosent avec l’informatique.Ces dernières années, le recours aux interceptions de communications, les fameuses « écoutes », a progressé de façon spectaculaire en France. Les seules écoutes téléphoniques judiciaires (réservées aux enquêtes concernant la grande délinquance) ont augmenté de 440 % entre 2001 et 2008, passant de 5 845 en 2001 à 26 000 en 2008, selon Claudine Guerrier (lire ci-dessous).
Dans le contexte anxiogène de l’après le 11-Septembre qui a déclenché la montée de la pression sécuritaire, cette explosion a été décuplée par l’amélioration des technologies qui permettent un contrôle accru et planétaire.
Les « écoutes, c’était la préhistoire du renseignement. Désormais, à l’heure des « réseaux sociaux », c’est dans nos mails et nos SMS que l’on peut rentrer.
L’épisode mouvementé du fichier EDVIGE (lire ci-dessous), créé par décret en juillet 2008, mais finalement retiré en novembre après un tollé des défenseurs des libertés, n’était qu’un premier pas.
La surveillance revient en force dans le projet de loi sur la sécurité intérieure, dite Lopsi (elle détermine les moyens de la police), qui sera débattue à l’Assemblée après la rentrée.
Et cela, par le biais de la reconnaissance des « logiciels-espions » introduits à distance dans l’ordinateur d’une personne surveillée. Certes, le texte prévoit la « captation des données informatiques en matière de criminalité organisée ». Mais ces cyber-perquisitions permettront à la police, et à l’insu des intéressés, d’accéder à leurs données informatiques. Et par extension à celles de leurs contacts concernés ou non par les poursuites.
Ces logiciels déjà prisés des pirates et des officines de renseignement (voir l’espionnage de Greenpeace, dans lequel EDF est visée) peuvent tout lire et capter ce qui apparaît sur nos écrans.
De quoi s’alarmer quand on sait que cette collecte des données personnelles serait étendue, dans le projet de loi, à toute personne citée dans une procédure, de l’entourage des mis en cause aux simples témoins. Attention, EDVIGE revient.
Cette extension du domaine de la surveillance in quiète d’autant plus la Commission informatique et liberté (Cnil), que les investigations « ne sont plus limités aux infractions les plus graves ». Jean Savaric
Grand Sud : les grandes oreilles de Domme :La Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la Direction du renseignement militaire (DRM) ont des sites d’interceptions en métropole et outre-mer.
L’une de ces « grandes oreilles » est ouverte dans le Grand Sud, à Domme (Dordogne).
Lové discrètement au cœur du Périgord, ce centre hérissé d’antennes et de paraboles des « services » français dispose de moyens puissants pour capter, recouper, décrypter les communications.
à partir d’un simple coup de fil suspect, il peut se brancher sur les conversations ou messages émis et reçus par les correspondants et reconstituer la toile d’un éventuel réseau terroriste sur des milliers de kilomètres.
La DGSE et la DRM opèrent aussi ces écoutes depuis la région parisienne, à Alluets-Feucherolles (Yvelines), l’Alsace, à Mutzig (Bas-Rhin), la Corse, à partir de la base militaire de Solenzara, le plateau d’Albion dans les Alpes ou encore la base aéronavale de Tontouta, en Nouvelle-Calédonie.
Ces centres sont supposés collecter des informations pour la Défense, afin de parer aux conflits, déjouer les menées terroristes, éviter la prolifération des armes nucléaires. Sans doute prennent-ils aussi part à la guerre du renseignement économique. Sans contrôle extérieur, secret Défense oblige.
EDVIGE, ce fichier qui avait semé le trouble :C’était le fichier de trop. Abréviation d’« Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale », le fichier EDVIGE a été créé par un décret en juillet 2008. Il s’agissait de fusionner les fichiers des Renseignements généraux et de la DST. C’est un véritable tollé qui a accueilli ce projet du gouvernement Fillon. Même dans les rangs de l’UMP certains se sont inquiétés de la puissance d’un tel fichier. C’est surtout la possibilité de ficher les personnes susceptibles de « porter atteinte à l’ordre public » qui a provoqué de vives réactions. Car étaient aussi visées « les personnes physiques ou morales ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif ». Très large cette définition faisait de l’engagement syndical ou politique une cause de fichage. La sexualité et l’état de santé devaient aussi être mentionnés dans une première version du fichier.
Les mineurs étaient également ciblés avec un âge minimum pour rentrer dans le fichier fixé à 13 ans... Même la présidente du Medef, Laurence Parisot, s’était déclarée « troublée » et réclamait des explications. Le Premier ministre a préféré remettre EDVIGE dans les cartons.
Une procédure en forte expansion :« Il y a eu une augmentation considérable des interceptions de communications ces dernières années », explique Claudine Guerrier, chercheuse à l’école Télécom et management Sud-Paris, qui a publié une étude sur le sujet.
Environ « 20 000 écoutes téléphoniques » ont été réalisées en 2005, représentant « 30% des interceptions globales » (mails, SMS et écoutes téléphoniques). « Aujourd’hui, on est presque à 100 000, en prenant en compte l’ensemble des interceptions », précise-t-elle.
à l’origine de cette forte hausse : l’explosion des « interceptions judiciaires », effectuées à la demande des magistrats, en hausse de 440% entre 2001 et 2008.
L’interception est devenue un vrai outil d’enquête pour les magistrats français même si la France est l’un des pays européens qui les pratique le moins.
Concernant les « interceptions administratives », effectuées par les services de renseignement sur demande des ministres de l’Intérieur, de la Défense ou du Budget, la hausse est en revanche plus limitée.
« Les chiffres doivent être considérés avec précaution » mais « depuis plusieurs années, j’ai tendance à penser que l’équilibre se fait au détriment de la protection de la vie privée », estime Claudine Guerrier.
L’universitaire rappelle par ailleurs que les écoutes et autres interceptions ont un coût pour les contribuables (voir les « tarifs » sur l’infographie ci-dessous).
En 2005, note-t-elle, elles se sont ainsi élevées à 92 millions d’€, soit 20% des frais de justice...
Ce qui se passe à l’étranger :Les chiffres, avec la progression spectaculaire que révèle le rapport de Claudine Guerrier, montrent que la France met visiblement les bouchées doubles depuis quelques années dans le domaine de la surveillance des personnes
Les écoutes pratiquées à la demande d’un magistrat sont bien moins répandues dans l’Hexagone que partout ailleurs en Europe : quinze fois moins qu’en Italie, douze fois moins qu’aux Pays-Bas et trois fois moins qu’en Allemagne, fait valoir Claudine Guerrier.
Et le dispositif satellitaire français déployé à la fin des années 90 (satellites espions « Cerise et « Clémentine ») n’est qu’un modèle réduit de l’énorme réseau « Echelon » anglo-américain.
Source :
http://www.ladepeche.fr/article/2009/07 ... iques.html