Hadopi : l'ultime verrou a sauté, la Cnil confirme son feu vert
Juridique - La Cnil vient de nous confirmer que les autorisations permettant aux ayants droit d'utiliser les radars du Net de Trident Media Guard ont été attribuées.
Hadopi est sur les rails. Le dernier blocage empêchant la mise en application de la loi visant à interdire le téléchargement illégal vient d'être levé.
Contactée par ZDNet.fr, la Commission nationale informatique et liberté vient de nous confirmer que les autorisations permettant aux organisations d'ayants droit d'utiliser les radars du Net de Trident Media Guard afin de repérer les actes de contrefaçons et de collecter les adresses IP des contrevenants ont été délivrées lors de sa séance plénière de jeudi.
La chasse aux 'pirates', aux méchants adeptes du P22 qui à eux seuls ont fait chuter l'Industrie du disque va donc pouvoir commencer. Quatre décrets doivent encore être signés et publiés au JO, mais comme prévu, les premiers mails d'avertissement seront envoyés dès juillet.
Très vite, une des organisations concernées, la SPPF (Société civile des producteurs de phonogrammes en France.) s'est réjouie et indique qu'elle va "procéder à des collectes automatisées d'adresses IP d'utilisateurs mettant à disposition illicitement sur les réseaux P2P des phonogrammes et/ou des vidéomusiques déclarés à son répertoire social. Elle saisira l'Hadopi "dans les semaines à venir".
Rappel des principales mesures prévues par la loi :
- La riposte graduée
Après avoir repéré une connexion qui télécharge illégalement, les ayants droit (autorisés par la Cnil donc) préviennent la Hadopi -Haute autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet- qui est chargée d'identifier le titulaire de l'abonnement grâce aux FAI. Elle envoie deux avertissements : d'abord un email puis une lettre recommandée.
- Sanctions : la procédure simplifiée, un juge unique
Les sanctions sont prononcées par un juge dans le cadre de procédures accélérées (ordonnances pénales sans débat contradictoire) : il s'agit d'amendes ou de la coupure de l'accès Internet de l'utilisateur reconnu coupable de téléchargement illégal. Les juges se basent sur le délit de contrefaçon puni jusqu'à 300 000 euros d'amende et 3 ans de prison.
- La sanction pour négligence
Le titulaire de l'abonnement, s'il n'est pas l'auteur du téléchargement, peut néanmoins encourir une amende éventuellement assortie d'une coupure de son accès à Internet pour une durée maximale d'un mois.
Cette sanction "pour négligence" est appliquée si l'internaute n'a pas protégé suffisamment sa connexion après avoir été averti par lettre recommandée par l'Hadopi.
Le titulaire de l'abonnement peut être sanctionné par une contravention (jusqu'à 3.750 euros) et une suspension de son abonnement pendant un mois. S'il n'a pas sécurisé sa connexion et qu'un téléchargement illégal est commis sur cette ligne, il se rend coupable de "négligence caractérisée", voire de "complicité" avec le pirate, selon la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie.
-Double peine
Un internaute condamné dont l'abonnement a été coupé ne peut pas se réabonner chez un autre FAI sous peine d'une amende de 3.750 euros.
En outre l'abonné sanctionné doit tout de même continuer à payer son abonnement. Et où ira l'argent ? Dans les poches des FAI. Les députés PS réclamaient que ces sommes financent la création. En vain.
- Les recours
Les messageries électroniques des internautes ne pourront finalement pas faire l'objet d'un contrôle afin de vérifier si les pièces jointes ne contiennent pas de fichiers piratés.
L'Assemblée nationale a également adopté une disposition prévoyant que les internautes convoqués devant la Haute autorité (Hadopi) pourraient se faire représenter par un "conseil" et non par un "avocat" comme le prévoyait le texte de la commission.
Enfin, les locataires du Palais Bourbon ont adopté l'article 3 ter qui stipule que le "juge doit prendre en compte les circonstances et la gravité de l'infraction ainsi que la personnalité de son auteur (notamment son activité professionnelle ou sociale)". De quoi éviter les sanctions disproportionnées ? Des études d'efficacité peu optimistes
Plusieurs études ont déjà contesté la pertinence de la riposte graduée pour lutter contre le piratage de musiques et de films. Selon une évaluation sur les premiers effets de la loi Hadopi publiée par des chercheurs de l'université Rennes 1 et le groupement d'Intérêt scientifique M@rsouin, l'impact du dispositif français serait peu perceptible.
D'après les auteurs de l'étude (réalisée sur la base d'entretiens téléphoniques entre le 16 novembre et le 23 décembre 2009 auprès de 2 000 individus représentatifs de la population de la Région Bretagne), l'application d'Hadopi pourrait même produire un effet inverse à celui escompté.
Comme démontré à plusieurs reprises déjà, l'étude signale que les « pirates numériques » (d'après la terminologie employée dans l'étude), sont pour la moitié d'entre eux des acheteurs de biens numériques.
« Couper la connexion Internet des utilisateurs de réseau Peer-to-Peer pourrait potentiellement réduire la taille du marché des contenus culturels numériques de 27%. Une extension de la loi Hadopi à toutes les formes de piratage numérique exclurait du marché potentiellement la moitié des acheteurs de contenus culturels numériques » estiment les auteurs.
Mais les résultats de ces recherches vont au-delà de ce simple constat, connu et systématiquement nié par les partisans de la loi Hadopi et par l'industrie musicale et cinématographique. Si les chercheurs reconnaissent que la loi peut encore produire des effets (dès l'envoi des premiers avertissements notamment), ils jugent qu'à ce jour l'impact sur les pratiques de téléchargement est minime.
« A peine 15% des internautes qui utilisaient les réseaux Peer-to-Peer avant l'adoption de la loi Hadopi ont définitivement cessé de le faire depuis » peut-on découvrir dans l'étude. Mais aussi que « Bien que le nombre d'internautes fréquentant les réseaux Peer-to-Peer ait diminué, le nombre de « pirates numériques » a légèrement augmenté depuis le vote de la loi Hadopi. »
Le piratage s'est reporté sur le streaming illégal (20%) et l'hébergement de fichiers (9%)
Loin de mettre un terme au piratage, Hadopi, focalisé sur le P2P, a généré une évolution des pratiques, et plus précisément le basculement du piratage sur d'autres sources comme le streaming (par exemple allostreaming) et le téléchargement sur des sites d'hébergements de fichiers (megaupload, rapidshare,...).
Interrogés sur leur consommation de vidéo et de musique sur Internet, ils sont 20% à utiliser des sites de streaming vidéo illégaux, 9% de l'hébergement de fichiers et 14% téléchargent via le P2P. Les pirates au sens Hadopi (appelés pirates Hadopi dans l'étude) ne représentent donc que 14% des 2000 personnes sondées.
Parmi les pirates Hadopi, 40% ont recours à d'autres sources de contenus, c'est-à-dire le streaming illégal et/ou le téléchargement sur des services d'hébergement comme MegaUpload. D'ailleurs bien peu d'internautes qui téléchargeaient via le P2P ont été influencé dans leur comportement par l'adoption d'Hadopi.
D'après l'étude « seulement un tiers a renoncé à toute forme de piratage numérique, alors que les deux tiers restant se sont tournés vers des pratiques alternatives de piratage. »
47% des pirates au sens Hadopi sont acheteurs de biens numériques
Mais le point le plus important de l'étude est probablement celui relatif à l'achat légal sur Internet. « La moitié des acheteurs de vidéo/audio sur les plates-formes légales appartiennent à la catégorie des pirates. En supposant que les internautes ne modifient pas leur comportement, la loi Hadopi conçue pour soutenir les industries culturelles pourrait paradoxalement, en coupant la connexion Internet des adeptes du Peer-to-Peer, éliminer 27% des acheteurs de vidéo et de musique sur Internet. »
Si comme le souhaite les Pro-Hadopi, la riposte graduée est étendue à d'autres sources que le P2P, l'impact financier négatif pour l'industrie pourrait encore s'amplifier. « En poussant plus loin le raisonnement, une coupure de l'accès Internet de tous les pirates réduirait le nombre des acheteurs de vidéo et de musique sur Internet de moitié. »
Les chercheurs enfoncent encore le clou en distinguant plus finement les internautes selon leur mode de consommation de contenus. On découvre ainsi que, loin d'être des radins numériques, les pirates Hadopi et non Hadopi, sont les consommateurs les plus assidus de biens numériques légaux.
En effet 47% des pirates Hadopi sont des acheteurs de biens numériques. Cette proportion est de 36% pour les pirates non Hadopi, mais de seulement 17% pour les non pirates. Un résultat qui pour les auteurs de l'étude fait du Peer-to-Peer et/ou du streaming gratuit « un moyen de découvrir et d'expérimenter des artistes ou des oeuvres pour finalement consommer plus et/ou différemment ».
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